Quitte à étonner, voire à scandaliser mes frères et sœurs croyants, je pense que la foi n’est pas facile ; elle est même difficile, très difficile, paradoxale et pleine de questions, si bien que je comprends vraiment ceux et celles qui ne croient pas. Il faut se battre avec soi-même, avec l’ambiance qui nous entoure et avec Dieu lui-même, comme Jacob avec l’ange (Genèse, 32).
Quitte à étonner, voire à scandaliser mes amis non croyants ou se disant tels, je pense qu’il est impossible de vivre et de respirer sans la foi, et que, sans cette référence, la vie perd l’essentiel de sa valeur.
Un monde où tout ne renvoie qu’à lui-même, d’où est exclue toute dimension symbolique au sens fort, c’est-à-dire où la réalité ne renvoie pas à une autre Réalité, ou, pour parler plus séculièrement, où on ne peut lire les choses, les événements et les personnes qu’au premier degré, un tel monde me paraît irrespirable.
La personne de Jésus est le lieu même de la foi.
Cet être humain, humain parmi les humains, immergé au cœur d’une culture, d’une famille, d’une tradition, porte en lui une dimension de tout-autre, et en sa personne se joue et se noue le sens de la condition humaine.
C’est donc par rapport à lui que doit se prendre la décision de la foi.
Mais elle ne peut être prise que si on est ouvert et travaillé par cette question d’une réalité autre qui se cache et se dévoile en même temps en lui.
Ce côté simultanément caché et dévoilé est ce qui marque la rencontre de la foi, ce qui en constitue la difficulté et la richesse, en un sens le paradoxe.
On peut, en un certain sens, estimer dérisoire, insolite, absurde, débile... que sais-je ? d’attribuer à une existence si courte que celle de Jésus, si obscure, si obscurcie par les couches traditionnelles et peut-être si déformée par l’imagination des générations successives une telle signification : mais, parallèlement à la quête du vrai visage de Jésus de Nazareth, il est inscrit dans la démarche de la foi de penser que rien n’est dérisoire, et que même ce dérisoire peut être appelé à nous ouvrir à l’Essentiel.
Je vais jusqu’à penser ceci : beaucoup d’hommes et de femmes, et j’en connais un grand nombre, vivent non seulement d’une manière profondément honnête et généreuse, mais de façon admirable ; leur dévouement est impressionnant, et, bien souvent, je me sens très petit devant leur capacité de s’oublier eux-mêmes et de se tourner vers les autres, sans référence aucune à Dieu ou même en le refusant. Cependant je pense que les valeurs qui les inspirent sont fondées en christianisme, en Christ ; je pense que le monde d’aujourd’hui au milieu de ses désarrois possède des valeurs fortes, mais qui sont comme ces branches coupées qui gardent un certain temps leur feuillage et même leurs fleurs, avant de se flétrir. Un monde étranger à Dieu me paraît semblable à ces branchages qui ne sont pas appelés à durer, parce qu’ils n’ont plus ni tronc ni racines. Un jour risque de venir -et déjà on le perçoit- où ce qui reste de ces valeurs devenues folles, privées de sens, risque de tomber dans l’absurde et dans des contradictions insurmontables.
Mais il est des plantes qu’on peut faire revivre sous forme de boutures.... Telle est mon espérance.
L’homme n’est vraiment lui-même que parce que partenaire d’un Autre. Et je crois que la venue de Jésus de Nazareth au cœur de notre humanité a été et demeure le sceau de ce partenariat qui, dans la Bible, porte le nom d’Alliance. Ce partenariat s’enfante dans la douleur, et quelle douleur ! mais il débouche sur la vie, et quelle Vie !
Abbé Lucien Lachièze-Rey