Charles Péguy : Le Porche du Mystère de la Deuxième Vertu
Mais l’espérance, dit Dieu, voila ce qui m’étonne.
Moi-même.
Ça c’est étonnant.
Que ces pauvres enfants voient comme tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux.
Qu’ils voient comme ça se passe aujourd’hui .et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin.
Ça c’est étonnant et c’est bien la plus grande merveille de notre grâce.
Et j’en suis étonné moi-même.
Et il faut que ma grâce soit en effet d’une force incroyable.
Et qu’elle coule d’une source et comme un fleuve inépuisable.
Depuis cette première fois qu’elle coula et depuis toujours qu’elle coule.
Dans ma création naturelle et surnaturelle.
Dans ma création spirituelle et charnelle et encore spirituelle.
Dans ma création éternelle et temporelle et encore éternelle.
Mortelle et immortelle.
Et cette fois, de cette fois, depuis cette fois qu’elle coula, comme un fleuve de sang, du flanc percé de mon fils.
Quelle ne faut-il pas que soit ma grâce et la force de ma grâce pour que cette petite espérance, vacillante au souffle du péché, tremblante a tous les vents, anxieuse au moindre souffle,
soit aussi invariable, se tienne aussi fidèle, aussi droite, aussi pure, et invincible, et immortelle, et impossible à éteindre que cette petite flamme du sanctuaire.
Qui brûle éternellement dans la lampe fidèle.
Une flamme tremblotante a traversé l’épaisseur des mondes.
Une flamme vacillante a traversé l’épaisseur des temps.
Une flamme anxieuse a traversé l’épaisseur des nuits.
Depuis cette première fois que ma grâce a coulé pour la création du monde.
Depuis toujours que ma grâce coule pour la création du monde.
Depuis cette fois que le sang de mon Fils a coulé pour le salut du monde.
Une flamme impossible à atteindre, impossible à éteindre au souffle de la mort.
Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.
Et je n’en reviens pas.
Cette petite fille espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.
Abbé Lucien Lachièze-Rey